23 octobre 2006

Enfer et chocolat

Qui ne connaît l'arythmie provoquée par une réponse (in)espérée à une question parfois banale?

- Voudrais-tu m'épouser?
- Oui

- Qu'y a-t-il au dessert?
- Un gâteau au chocolat

Ayant (beaucoup) plus souvent à répondre à la deuxième question qu'à la première, je suis devenue au fil des ans spécialiste du gâteau au chocolat. J'ai d'ailleurs un moment hésité à rajouter une ligne dans mon CV, Spécialiste es-GAC, rien que pour le plaisir de répondre à "Mais, es-GAC, cela veut dire...?" et de voir à la réponse les yeux briller, un léger sourire se dessiner et la langue passer subrepticement sur les commissures de la bouche de mon interlocuteur.

Oui, je maîtrisais les nuances et déployais mon art en fonction de mon public. Pépites de chocolat, écorces d'orange, crème anglaise, ou décoration étaient autant de variations possibles.

Il est incroyable de constater qu'année après année, rien ou presque n’arrive à créer le consensus comme un gâteau au chocolat. Faut-il y voir une madeleine de Proust collective?
Ou peut-être autant de souvenirs heureux de fêtes d'anniversaires où, enfants, nous nous approchions timidement du grand gâteau apportés par nos parents, et nous accueillions à chaque fois par des "ahhh" et des "ohhh" qui rendaient jaloux bien des séducteurs en herbe, raie sur le côté, mèche rebèle qui caressait leur paupière, moue boudeuse et mains dans les poches.

Serpentins, sarbacanes à pois et boules de papier mâché perdaient instantanément de leur attrait, qui nous semblait pourtant inégalé quelques instants plus tôt.

Les plus audacieux osaient tendre un doigt afin de pouvoir jouir avant les autres d'un peu du nappage brillant qui recouvrait le gâteau. Il fallait prendre des risques, être suffisamment adroit pour se faufiler entre les amis, suffisamment discret pour ne pas se faire voir de tous, et suffisamment rapide pour ne pas se faire réprimander par la maîtresse de maison.

Chacun cherchait alors à courtiser la maman qui s'appliquait alors à couper le gâteau et nous le servir. Quelle serait la tactique à employer afin de rafler la plus grosse part? Un compliment sur sa belle robe? Un regard timide afin d'apitoyer? Un sourire éclatant d'enfant heureux?

Forcément, nous trouvions toujours que le voisin avait une plus belle part. Mais finalement, cela importait peu. Nous dévorions rapidement notre part d'or noir, en ponctuant sa dégustation par des sourires aux dents noires, comme autant de respirations de jouissance.

A la fin, un peu écoeurés par tant de plaisir, nous retrouvions nos serpentins, que nous avions délaissés sans un regard.

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